La Coupe des Provinces : histoire de l’ancêtre du Trophée Lotus

 

Vous connaissez le Trophée Lotus, fidèle évocation de la Coupe des Provinces, mais que savez-vous réellement de cette épreuve mythique qui nous inspire tant aujourd’hui encore et pour longtemps? On vous dit tout…

Depuis quelques années maintenant, Christian Odin, le créateur de Mecanic Gallery, est en charge de l’organisation du Trophée Lotus (digne évocation de la Coupe des Provinces) qui met en scène des Lotus Seven et les Caterham qui leur ont succédé. Reprenant le flambeau en 2010, à la suite du formidable travail réalisé par Jean-Paul Couilliot, fondateur du Trophée Lotus, Christian est parvenu à lui donner une dimension nouvelle en le rendant encore plus attractif. La récente formule de location « Seven Access » n’est qu’un des nombreux exemples des initiatives prises par cet amoureux inconditionnel de la marque Lotus pour développer cette formidable compétition.

 

Opération Ford Jeunesse

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Afin de saisir toute la portée historique de la Coupe des Provinces, épreuve mythique pour tous les fans Français de la célèbre Lotus Seven, revenons dans le temps pour en rappeler la genèse.

En 1963, en France, les alternatives proposées aux jeunes passionnés d’automobiles (et Dieu sait qu’il y en avait) pour s’engager en compétition n’étant pas nombreuses, il devenait nécessaire d’envisager quelque chose. C’est alors qu’un animateur de la radio Europe n°1 entreprit, avec le soutien de Ford France et de la revue Sport-Auto de créer une compétition destinée uniquement aux jeunes : l’opération « Ford Jeunesse Europe n°1 » était née, la « Coupe des Provinces » allait pendant deux ans faire battre le cœur de centaines de jeunes passionnés…

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Un concept inédit 

Gérard Crombac, journaliste pour la revue Sport-Auto, grand ami de Colin Chapman et de Jim Clark, résume les choses de cette manière dans le numéro de Mars 1964 :

« Grâce à Ford, une Ford-Lotus Super Seven de compétition sera offerte à une Association Sportive ou Ecurie de chacune des 19 Provinces suivantes : Ile-de-France, Paris, Normandie, Flandres-Artois, Champagne, Alsace-Lorraine, Bourgogne-Franche-Comté, Berry, Touraine-Anjou, Maine-Bretagne, Saintonge-Aquitaine, Limousin, Auvergne, Lyonnais, Dauphiné-Savoie, Côte d’Azur, Provence, Languedoc et Béarn.

Les voitures seront livrées aux Associations Sportives ou aux Ecuries sous forme de kits, en pièces détachées. Les jeunes adhérents à l’opération « Ford Jeunesse » devront alors procéder au montage des voitures avant de pouvoir leur faire prendre la route.

Si nous ajoutons à cela la possibilité d’effectuer un certain nombre de modifications (dans le cadre d’un règlement très strict), on comprend alors qu’il ne s’agit plus d’un simple jeu de construction et que les clubs qui veulent avoir une chance de réussir devront compter parmi eux non seulement d’excellents mécaniciens, mais aussi de bons élèves-ingénieurs.

Une fois que les voitures seront construites, prêtes à rouler, il s’agira de leur trouver des pilotes : ce soin sera laissé aux Associations Sportives, propriétaires des voitures, qui procéderont à une sélection parmi tous ceux qui auront œuvré à la construction.

Les seules conditions seront que les conducteurs ne soient pas âgés de plus de vingt-cinq ans le jour de la course et qu’ils n’aient jamais possédé de licence internationale de conducteur.

Et puis ce sera le grand moment : la course. Il y en aura plusieurs, tout au long de la saison tant en circuits qu’en courses de côtes. Chacune de ces courses donnera lieu à un classement par points, mais ces points seront attribués non pas à chaque conducteur, mais à leur club. Il sera ainsi possible de donner leur chance à plusieurs conducteurs dans le courant de la saison, sans compter tous ceux qui se seront entraînés. »

 

La première édition de la Coupe des Provinces 

C’est ainsi que chaque Province (citées plus haut) fut désormais représentée par une petite voiture de compétition peinte à ses couleurs avec les emblèmes de sa région. Alors que les autos étaient en train d’être assemblées par les AS, Ford France et Europe n°1 proposa à tous les jeunes de prendre part à un grand concours qui détermineraient quelles seraient les couleurs et les emblèmes de chacune des Super Seven.

Victime de son aspect très attractif aux yeux de nombreux jeunes passionnés Français, ce sont près de 10 000 demandes qui furent reçues par les différentes Associations Sportives pour prendre part à la Coupe ! Les demandes affluèrent tant et si bien que les dirigeants des différentes AS durent faire les sélections qui, malheureusement, s’imposaient. Tout le monde ne pouvait pas être retenu et seule une poignée de jeunes pilotes allaient connaître, pendant les deux années d’existence de cette mythique compétition, la fièvre du paddock, l’adrénaline de la compétition ou encore le bonheur de la victoire…

Malgré les exploits d’un certain Henri Pescarolo, alors étudiant en médecine, lors des deux premières courses de la Coupe (Monthléry et Magny-Cours), l’année 1964 fut globalement dominée et de fort belle manière par l’Ecurie de Lyonnais. A la mi-saison, un article de Georges Michel (Sport-Auto) rendait hommage au travail de ces derniers :

« Quatre courses de la Coupe des Provinces Françaises ont déjà été courues, et il en reste autant à disputer ; c’est la mi-saison, et c’est aussi le moment venu de faire le point sur le déroulement de cette compétition organisée par Ford-France avec le concours d’Europe n°1 et de notre revue.

C’est une équipe appliquant à fond et avec une grande sportivité l’esprit du règlement qui occupe la première place du classement général provisoire, il s’agit du Lyonnais.

Cette équipe, dirigée avec dynamisme par Victor Bonnet, a en effet changé de pilote à chaque course : Seguin, Martin, Mieusset, Pin, Martin et Costa se sont succédé au volant de cette voiture montée mise au point et entretenue par une équipe de talentueux jeunes mécaniciens. »

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Menée par neuf excellents pilotes dont le très talentueux Robert « Jimmy » Mieusset, l’équipe de Lyon confortera sa position jusqu’au terme de la saison et se verra remettre les hommages du journaliste de Sport-Auto dans le numéro de Novembre 1964 :

« Lyon l’emporte avec aisance et s’adjuge la Coupe des Provinces qui vient ainsi récompenser une équipe particulièrement méritante. Ils n’ont pas été les seuls à jouer le jeu mais c’est en tout ceux qui y ont participé avec le plus de réussite en ne pensant pas que la victoire finale était le but unique de l’opération mais seulement un des objectifs, l’essentiel étant de participer avec le plus grand nombre de pilotes. »

En Décembre de la même année, Georges Michel salua l’excellente initiative de cette opération et le succès retentissant qui en découla pour tous les jeunes Français qui y avaient pris part, tant pour les acteurs que pour les spectateurs. Imaginez la fierté de ces jeunes gens, pour la plupart tous étudiants ou jeunes professionnels, quand ils découvrirent une pleine page qui leur était consacrée dans Sport-Auto aux côtés des pilotes de F1 de l’époque… Quelle magie ! Quelle émotion !

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Á l’issue de l’année 1964, quand se tinrent les remises de prix à Lyon (hommage au vainqueur oblige), les bilans furent dressés et l’avenir envisagé. L’opération « Ford-Jeunesse Europe n°1 » allait-elle être reconduite pour 1965 ?

Une nouvelle fois, le génial Gérard Crombac de Sport-Auto avait suivi cela de près. Il s’exprimait ainsi dans les colonnes du journal Français en Janvier 1965 :

« Le principe de l’opération a été unanimement apprécié. Jamais auparavant, on n’avait trouvé un tel moyen pour susciter l’enthousiasme des jeunes au sein d’un club, pour créer des vocations sans que la situation financière des aspirants-coureurs n’entre aucunement en ligne de compte. Il est incontestable que cette opération aura amené, aux Associations Sportives qui sont s’en occupées, une masse de jeunes adhérents qui formeront l’effectif de nos pilotes dans quelques années. »

Et il ne s’était pas trompé ! En fin connaisseur de sport automobile qu’il était, Gérard Crombac assistait au travers de la Coupe des Provinces à l’éclosion de plusieurs talents bruts parmi lesquels on trouvait Henri Pescarolo, Jimmy Mieusset, Patrick Depailler, Claude Swietlik, Max Jean, Geroges Servoz-Gavin, José Dayan

Malgré les ennuis techniques et financiers de plusieurs AS (concernant principalement les pièces détachées et les frais de transport) et l’abandon définitif de certaines autres, l’opération fut reconduite pour 1965 après l’important succès rencontré auprès des jeunes. Certaines Provinces n’avaient pas joué le jeu mais la grande majorité méritait un second round.

Cependant, des choses avaient changé. Le règlement technique, plus souple sur certains points, autorisait désormais davantage de modifications notamment au niveau du circuit de refroidissement des Super Seven (ce qui allait empêcher un grand nombre de casses moteur). Le règlement sportif quant à lui devenait plus strict. Par exemple, il était désormais obligatoire de faire courir au moins trois pilotes au cours de la saison.

Afin de faciliter le relancement de l’opération, Ford France offrit généreusement offert un crédit de pièces détachées destinées à remettre toutes les voitures en état. Après avoir admis le principe d’une somme forfaitaire, il fut finalement décidé en dernier lieu que chacune des Associations Sportives enverrait une liste des pièces nécessaires pour son véhicule.

La seconde année de la Coupe des Provinces fut d’une certaine manière une répétition de la première quant au classement général. Les gros titres de Sport-Auto nous le confirment au fur et à mesure que les courses s’achèvent :

« Lyon ouvre le score à Pau ; Lyon accentue son avance à Magny-Cours ; Lyon s’installe confortablement en tête sur le circuit de Reims. »

A la mi-saison, après quatre courses, la Province du Lyonnais affichait fièrement ses 44 points, suivie de loin par l’Aquitaine, le Limousin et le Languedoc tous les trois à 20 points.

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Malgré des victoires de José Dayan et de Henri Pescarolo dans les dernières courses de la saison, la Province du Lyonnais était devenue irrattrapable et pour la deuxième année consécutive, elle s’adjugea la victoire de la Coupe.

« Ce résultat vient récompenser les efforts d’une équipe homogène et dynamique qu’a dirigée pendant deux ans Victor Bonnet. Présent dans toutes les courses prévues au calendrier, respectant l’esprit de l’opération et défendant avec acharnement son titre, le Lyonnais concluait magnifiquement son exercice. » (Sport-Auto Janvier 1966).

Les vestiges d’une opération à succès

Certaines Associations Sportives n’ayant pas consacré à cette épreuve l’ardeur souhaitable, les questions soulevées l’année précédente sur l’éventuelle reconduction de l’opération se posèrent à nouveau. Cependant, la réponse fut toute autre. L’opération « Ford-Jeunesse » avait vécu et elle ne serait donc pas reconduite pour 1966 au grand dam de beaucoup de jeunes déçus du manque d’investissement de la part de certaines Sections Jeunesses de leur AS respectives.

Les Super Seven furent toutes pour la plupart reconverties en voitures-école et parmi les 20 châssis offerts par Ford France au début de l’année 1964, seules quelques-unes existent encore aujourd’hui. C’est le cas de la plus victorieuse d’entre elles, celle de la Province du Lyonnais, qui fut acquise par Henri Malartre, le célèbre collectionneur Lyonnais à l’issue de ses deux victoires consécutives en 1964 & 1965. La voiture est aujourd’hui toujours visible dans le musée de ce dernier à Rochetaillée-sur-Saône (69).

 

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Formidable révélateur de talents mais également de vocations, l’opération « Ford Jeunesse Europe n°1 » fut un réel succès. L’enthousiasme débordant des jeunes gens qui y prirent part est palpable à la lecture des articles de Gérard Crombac ou de Georges Michel, pour ne citer qu’eux.

Cet enthousiasme, c’est le même qui a animé Jean-Paul Couilliot et quelques passionnés à partir de 1987 pour donner à la Coupe des Provinces « une suite » qu’elle avait mérité. Les débuts furent difficiles et malgré le changement de nom, l’esprit qui régnait sur les paddocks en 1964 & 1965 est toujours demeuré le même depuis toutes ces années. Aujourd’hui, cette passion dévorante qui stimule tous les acteurs du Trophée Lotus sans exception est garante de la pérennité du plus ancien Trophée Historique Français.

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